Je prends la parole aujourd’hui parce que je suis la maman de Jérémy*.
Je ne viens pas poser un discours juridique… d’autres feront cela mieux que moi…
Je ne viens pas plus pour poser un discours politique… d’autres aussi feront cela mieux que moi…
Je suis ici pour témoigner de l’effet que produit sur une mère, sur une famille, une décision comme celle qui m’est tombée dessus le 17 mars 2023. Ce matin-là, j’ai reçu un appel téléphonique pour me signifier que Jérémy* avait été emmené à Champ-Dollon. De l’effroi à l’incrédulité, de l’incrédulité à l’effroi, je suis passée par une gamme de sentiments dont aucun n’était rassurant.
Au début, je ne savais même pas pourquoi on l’avait emprisonné. Le monde de la prison me semblait tellement lointain. Quand on ne sait pas, on imagine. Et j’imaginais qu’il y a quelque chose qui s’appelle la Justice derrière de telles décisions. Et puis, quand j’y fus moi-même plongée, comme cela sans crier gare, je me suis demandé quelle était cette justice, établie en notre nom et au nom de laquelle on emprisonne mon enfant.
Mon fils, 22 ans, intelligent, curieux, généreux, qui adore les jeux de société, qui était inscrit aux championnats genevois de badminton à la fin du mois, dont la présence réconforte ses sœurs, dont le sourire me rend plus légers les fardeaux de l’existence, qui a toujours fait la fierté de ses parents, de ses grands-parents et de tout son entourage … lui ? C’est lui qu’on envoie en prison aujourd’hui?
Arrive alors le moment des interrogations. Il serait emprisonné parce qu’il pourrait éventuellement décider de s’enfuir à l’étranger. Si ce n’était pas aussi tragique, on en rirait. Il serait également en prison parce qu’il risquerait de faire disparaître des preuves ou de se mettre en contact avec de possibles complices.
Je rêve ou on parle d’événements qui ont eu lieu il y a 15 mois ? Je me trompe ou un mandat d’arrêt avait été établi en juin 2022 ? L’urgence de l’emprisonner ne me saute pas aux yeux. Pour quelqu’un qui a le moindre bon sens, ces arguments ne devraient pas tenir. En tout cas, ils ne devraient pas justifier un emprisonnement aussi rude et, qu’on nous annonce qu’il se comptera peut-être en mois.
Des gens non informés comme nous, comme moi, quand on apprend cela, on ne peut qu’avoir le sentiment d’être pris pour des nigauds, qu’on se moque de la logique, qu’on fait valser l’idée de la justice au nom de l’institution qui a pour nom Justice.
Et, pire, on constate que tout cela se fait au détriment de mon fils, de Jérémy*, personne de chair, bien réelle, qui serait jeté dans un jeu dont on ne comprend pas les règles… si ce n’est qu’à tous les coups, c’est lui qui sera perdant.
Je découvre ce qu’est la prison. La prison, ce n’est pas juste être privé de liberté. Mon fils est en cellule de quelques mètres carrés avec 4 autres personnes 23 heures sur 24, il me dit qu’il ne mange pas à sa faim, me dit avoir des mycoses sur le torse – et quand j’en parle on me répond que c’est normal, ça arrive aux nouveaux détenus, c’est à cause de la saleté, ah… ok c’est donc normal ! L’entourage pensait envoyer des colis alimentaires, on voit ça dans les films, les colis. Mais non, pas de colis à Champ-Dollon en ce moment. Les colis alimentaires c’est seulement à quelques périodes de l’année ! Il paraît qu’il pourrait avoir droit à deux heures de sport par semaine sauf que les jours où il est inscrit soit la salle est prise pour la messe, soit parce que c’est un jour férié ou autre … Quand je lui amène un journal (comme par exemple « l’équipe ») ou une couverture, on refuse de lui livrer…. Très souvent ces jours, il m’arrive d’aller m’asseoir sur un banc devant la prison parce que je résiste et que je refuse qu’on m’écarte ainsi de la vie de mon fils et au nom de quoi… je vous le demande.
Je découvre que les conditions de détentions préventives, donc les détentions avant jugement, semblent pires que les conditions dans lesquelles ont purge une peine, après jugement. Est-ce cela la justice ?
Aujourd’hui, ce qui me fait chaud au cœur, c’est de constater que Jérémy* n’est pas seul, qu’il est entouré d’amis, de parents, de sœurs, de camarades… j’ai envie de vous remercier, un par un, une par une, d’être là aujourd’hui.
C’est par vous, grâce à vous, que se concrétise la solidarité. Pour moi, aujourd’hui, la solidarité n’est plus uniquement une grande et belle idée… mais c’est aussi une chaleur concrète que je peux ressentir au milieu de vous et dont, j’espère, un petit bout arrivera dans sa cellule surpeuplée de Champ-Dollon, pour donner de l’espoir à ce jeune homme extraordinaire, qui est mon fils et que j’aime plus que tout au monde… Et pour qui vous êtes très importants !
Merci !